Avr 242012
 

Un petit article pour discuter du changement de discipline, du pourquoi, du comment, des problèmes à changer de discipline.

Avant de commencer le karate Okinawaien par le gôjû-ryû sous la direction de Lionel Sensei Shihan etc, puis de passer au kônan-ryû toujours sous son enseignement tout en faisant de l’Uechi-ryû sous l’enseignement de sensei Shimabukuro que Lionel m’avait présenté, j’ai eu un passé rapide en Nihon Tai Jutsu sous la direction de professeurs aussi compétents techniquement que riches humainement. Ils avaient le charisme, l’état d’esprit et le dynamisme suffisant pour me satisfaire et me faire progresser dans le plaisir. Toutefois j’ai été amené à changer finalement pour trouver une autre voie dans laquelle je me suis fixé. Qu’est-ce qui a pu motiver ce choix? Quelles sont les difficultés d’un changement de discipline?

Tout d’abord le changement de style, d’école ou de discipline est un choix personnel dépendant de sa recherche  et de ses attentes.
Les critères peuvent être aussi variés que:
– la distance, on cherche une pratique plus proche de chez soi.
– le prix, on cherche quelque chose de moins cher, d’abordable.
– l’envie de découvrir autre chose.
– un changement de goût.
– un changement d’axe de recherche.
– simplement le prestige (pratiquer l’école de Bruce-Lee, l’école d’un acteur célèbre, celle d’un pro de la self-défense ou d’un combattant de MMA, etc.).
– l’envie de suivre la mode (wing-chun, kyûsho)

Quel qu’en soit la raison, le changement de discipline se justifie toujours. Elle est avant tout humaine, subjective et personnelle.

Il arrive qu’une personne, après plusieurs années de pratique se rende compte que son enseignant n’a pas eu une compréhension suffisante de la discipline, ne l’a pas exploré à fond ou qu’il a arrêté d’explorer. De ce fait si on veut soi-même explorer plus profondément l’école, il faut changer de club, d’enseignant et trouver un autre guide. Dans le cas d’une discipline moderne, il arrive souvent que du fait qu’elle ait été un assemblage de disciplines elles-mêmes modernes ou traditionnelles, la discipline n’offre pas beaucoup de fond car le fondateur n’a pas eu le temps, n’a pas su ou n’a pas pu maitriser tous les principes et les fondements des dites disciplines, lorsqu’elles sont très différentes et ne partagent pas beaucoup d’axes communs (comme la pratique de l’aikido et de karate d’okinawa, si l’un peut enrichir l’autre, faire les deux affaiblit les deux). Le contenu moderne, aussi intéressant soit-il, offre au final très peu d’éléments de recherche et d’approfondissement, si ce n’est qu’un simple perfectionnement technique. Il arrive que pour des besoins professionnels ou personnels, quelqu’un ayant pratiqué un art traditionnel sur des années, souhaite une application plus réalistes, une pratique plus orienté vers la protection personnelle qui ne soit pas une pratique de tatami et utilise les conditions modernes de vie. Il se peut qu’une pratique finisse par ne plus plaire, comme on peut se lasser d’une boisson. Il se peut que pour un temps indéterminé on ait envie de se prouver quelque chose en embrassant les sports de combats. Tout est valable pour changer de discipline. Tout dépend de la recherche que chaque personne fait et le chemin qu’elle souhaite emprunter pour y arriver. Evidemment un débutant n’a pas forcément ce choix au début.

Parce qu’une école traditionnelle, a suffisamment à donner pour une pratique de toute une vie, il est normal qu’une étude de dix ou vingt ans ne permet pas d’en faire le tour et que forcément créer une nouvelle entité à partir de là, laissera un certain vide. Il est normal de chercher à combler ce vide. Certains vont alors cumuler les disciplines pour combler cela agrandissant le gap et introduisant de nouvelles interrogations.

Est-il préférable de changer de discipline plutôt que les cumuler?

Le sujet est épineux et dépend souvent de la compréhension d’une personne et surtout de sa recherche. J’ai tendance à penser que plutôt qu’aller chercher dans une autre discipline ce qu’il manque à la sienne, il faut déjà vérifier qu’il ne s’agit pas d’une manque de compréhension de celle-ci. Ensuite plutôt que rajouter une composante venu d’un autre style, je suis plutôt pour aller à la source. Souvent des pratiquants de karate shôtôkan se retrouvent avec l’impression d’avoir fait le tour de leur style, et désarmés face à des pratiquants qui maitrisent des aspects que eux ne connaissent pas vont pratiquer autre chose en parallèle… par exemple les renforcements, le jissen, les étranglements/clefs/projections, la self défense. Cela est souvent dû à un enseignement essentiellement basé sur la compétition sportive sundome. Et ces pratiquants se tournent alors vers les boxe jissen, l’aikidô, la self-défense pour combler des lacunes qu’ils pensent avoir dans leur style. Alors que ce n’est pas le cas, le karate shôtôkan couvre tout cela, seulement tous les enseignants ne le font pas travailler, car tous les enseignants ne connaissent pas forcément ces types de travail. Donc plutôt qu’aller chercher dans d’autres écoles ce qui manque, il suffit d’aller chercher un autre enseignant du même style, ou de remonter à la source du shôtôkan: le shôrin-ryû (par exemple).

Pour moi une discipline authentique, traditionnelle se suffit à elle-même. Seulement, l’apprentissage prend plus ou moins de temps et l’efficacité ne dépendant pas forcément de cette discipline n’évolue pas de la même façon. Les impatients n’hésiteront pas à changer de discipline accusant cette dernière de tous les maux. Plutôt que les cumuler les pratiques il serait plutôt raisonnable de pratiquer la source, ou d’avoir un guide qui permet d’approfondir la pratique de base.

Le cumul des pratiques a de cela de dangereux, que certaines ne sont pas forcément compatibles, et on finit par devenir moyen partout, et bon nulle part. Voir d’autres pratiques temporairement pour mieux comprendre son école, voir ouvrir des portes de travail n’est pas une mauvaise chose. L’erreur est de se disperser, alors qu’il vaut mieux se consacrer à une seule école.

Je pense et suis persuadé qu’un école traditionnelle a tout à donner pour toute une vie de pratique. Seulement il se peut que le professeur n’est pas tout compris de la discipline, n’ait pas donné ce qu’il faut pour progresser par soi-même, et de ce fait qu’on se retrouve dans une impasse. De ce fait il est intéressant d’aller visiter d’autres école pour avoir des portes ouvertes vers la compréhension de son école. Il ne s’agit pas de changer de style ou de pratiquer plusieurs style, mais de suivre d’autres écoles qui nous permettent de mieux comprendre notre école de base et de pouvoir l’approfondir et d’avoir matière à travailler, encore et encore.

Quels sont les dangers du changement de discipline?

Pour travailler correctement il est préférable de se concentrer sur une seule discipline, de s’y investir complètement et d’en approfondir les principes jusqu’au bout (en général sur des disciplines authentiques, on ne voit jamais le bout). Et pour approfondir une seule discipline il faut partir de zéro, oublier ce qui a été appris en terme de principe et absorber ce que l’ont nous donne comme un débutant: travailler avec l’esprit du débutant. Le danger de vouloir travailler une seule discipline en gardant les autres disciplines passées, c’est de travailler avec des défauts dû au conditionnement de la pratique passée. Par exemple travailler certaines écoles chinoises avec une base de karate shotokan implique d’être suffisamment bon pour oublier le shotokan lorsqu’on pratique l’école chinoise. Mais il n’est pas possible de faire correctement une école chinoise avec les principes du shotokan. Car lorsqu’on décidera d’approfondir l’une ou l’autre des écoles, sur quels principes allons nous nous appuyer?

Apprendre plusieurs écoles en mélangeant les structures et principes de chacune peut poser des problèmes car les défauts d’une école ne seront pas forcément les défauts d’une autre et vice-versa. L’erreur serait de s’éparpiller entre toutes ces pratiques. L’intérêt est d’utiliser ce qu’on peut trouver dans les autres formes pour comprendre la sienne, l’approfondir et ouvrir des portes de recherche.

Il ne faut pas oublier qu’une discipline traditionnelle, ce n’est pas que des techniques, des répétitions des défense contre diverses situations d’agression. C’est aussi un concept bien établit, un ensemble de principes, des structures corporelles. Bref tout ce qui fait la différence entre une synthèse moderne d’écoles mal comprises, pas assez étudiées, et une école traditionnelles avec tous ses principes, ses structures, sa forme de corps. C’est ce qui fait que beaucoup d’écoles telles que le systema, l’aunkai, etc. attirent de plus en plus, car elles offrent à tout pratiquant, quelque soit son origine martial une réflexion sur sa pratique, sur la structure et les principes… Et ainsi permet d’ouvrir des portes vers la compréhension de son propre style et d’approfondir le travail en cours.

Si on parle de principes opposés qui peuvent perturber la pratique de la nouvelle discipline, il ne faut pas oublier non plus la stratégie de combat, qui elle aussi peut gêner. En effet de nombreuses écoles développent leur pédagogie et principes vis à vis d’une situation données ou d’une stratégie de combat données. Quelqu’un qui a passé 20 ans de sa vie à pratiquer un art où l’on combat en laissant une grande distance entre lui et l’adversaire sera très perturbé lorsqu’il devra combattre à distance très courte avec des saisies, ces perturbations peuvent nuire à la pratique, et l’amalgame des deux peut être négatif. Et surtout, il peut empêcher le pratiquant à voir derrière la technique, à voir derrière les principes et la stratégie et à ne lui donner qu’une vision superficielle qu’il ne pourra pas approfondir et dépasser. Et ainsi il enseignera qu’une pratique de surface, avec tous ces manques et ces défauts, faisant ainsi d’une pratique complète une école où il manque de nombreuses choses.

Alors le changement de style dans tout ça?

Pour parler d’expérience et de vécu, je dirais qu’il y a plusieurs choses à prendre en compte:
– la recherche
– le plaisir de pratiquer
– la possibilité

Si notre axe de recherche change, si le plaisir de pratiquer change (pour une raison ou une autre, départ du professeur, déménagement, etc.), si le coût de la pratique devient trop cher,  Si la source de l’école montre des vides, alors l’envie de changer peut se faire ressentir. Par exemple les faiblesses structurelles de ces disciplines modernes appelées jujitsu, qui n’ont de jujitsu que le nom… car au-delà des techniques, les méthodes modernes appelées jujitsu n’ont pas de pédagogie sur les principes structuraux qui existent dans les véritable jûjutsu authentiques. Et pour cause, le jûjutsu n’est pas un art martial, mais un terme génériques d’un ensemble d’écoles qui diffèrent sur ces mêmes principes et travail de fond. Il est normal qu’arrivé à un certains stades dans ces méthodes modernes, on se pose des questions, car au-delà de la technique, il n’y a plus rien.

Personnellement cela fait partie des choses qui ont motivé mon choix, j’ai découvert dans un nouveau style que derrière la technique, derrière la posture, il y avait un monde aussi vaste que les innombrables possibilités du corps humain. J’aurais pu explorer cet axe pour mieux pratiquer ma première école, mais ce n’était pas possible tant les principes étaient antinomiques. Du coup, si je voulais comprendre et m’approprier cela il me fallait me plonger à corps perdu dans cette nouvelle école et partir de zéro. Évidemment on ne part pas complètement de zéro, car une projection reste une projection, une clef reste une clef… mais là on ne parle que de techniques et non de principes structuraux.

Quoi qu’il en soit la finalité est de trouver ce que l’on cherche, de se faire plaisir sur le long terme, d’apprendre, et de continuer à apprendre.

Personnellement j’ai aimé la pratique du Uechi-ryû (de ses origines, et dérives sportives), les axes de recherche qu’elle offrait, et surtout elle correspondait plus à mon corps et à ma vision des arts martiaux, en terme de pratique du combat mais aussi d’amélioration de l’individu. Mais j’ai la chance d’avoir d’excellents guides, professeurs, senpai qui m’ouvre des portes constamment, sans me limiter à une vision superficielle et étriquée.

  9 Responses to “Changer de discipline”

Comments (9)
  1. Un bel article, merci Jack 🙂

  2. Très bon article comme toujours. Je suis entièrement d’accord avec toi. Malgré tout, il existe des personnes douées qui peuvent peut être suivre 2 voies différentes. Je n’en fais pas partie , j’ai déjà beaucoup de mal à ne suivre qu’une seule voie !

    Cependant, l’étude d’autres styles ( mais surtout le travail avec des sensei différents) peut être profitable à sa propre pratique en ouvrant certains horizons que notre sensei aurait omis. Pour moi le karate étant personnel, chaque sensei ( même d’une même école) devrait avoir une vue personnelle de son art.
    mukashi mukashi …. Autrefois à Okinawa ( du moins à la fin des années 1800, ce sont les seuls témoignages fiables que l’on ait), les sensei n’hésitaient pas à envoyer leurs élèves chez d’autres experts pour approfondir l’art du Ti ( qui il est vrai, n’était pas cloisonné en style comme maintenant).

    • Salut Eric, merci pour ton message.

      Oui tout à fait, mais c’est vrai que je n’ai pas précisé de quel point de vue je me plaçais. Il est évident que je me plaçais plutôt d’un point de vue contemporain et d’une pratique de loisir. Il est vrai que de nombreuses personnes, pour des raisons professionnelles, n’ont pas besoin et ne recherchent pas l’approfondissement, et vont aller chercher ce qui est peut être obtenu rapidement là où ça peut être obtenu rapidement. Et il y a les exceptions, qui peuvent faire abstraction des principes et de la structure d’une école pour en pratiquer une autre…

      Amicalement
      Jack

  3. Salut Jack et bravo pour ton site,
    je suis partiellement d’accord avec ta réflexion. En effet, multiplier les pratiques peuvent nuire si les disciplines sont trop éloignées les unes des autres. Encore que même si elles le sont ( modernes et traditionnelles par exemple), on peut appliquer certains principes qui sont immuables comme le relachement, le dos droit, la sensibilité par exemple. Un pratiquant de Muay thai peut très bien les appliquer s’il s’adonne aussi au Tai Chi Chuan par exemple.
    J’ai pratiqué l’aikido pendant 11 ans avant de me tourner vers le Tai chi (toujours avec le même maître) et le Wing Chun, ce dernier étant très différent des deux premiers, j’y retrouve et applique ces principes. Le tai Chi m’a fait énormément progresser en Aikido qui n’a pourtant pas la même origine.
    Certes, l’effet pervers de multiplier les pratiques risquent de faire survoler ces dernières mais cela dépend aussi de la vision et le désir ou non de s’investir.
    À bientôt,
    Greg

    • Bonjour Greg,
      Merci pour ton commentaire et tes compliments.
      En fait ma réflexion s’orientait plus sur le choix de pratiquer plusieurs choses parce qu’on ne trouve pas ce qu’on cherche dans sa pratique.

      Mais effectivement, ta réflexion est juste et est traitée notamment dans un autre article en préparation… et en ce moment je n’ai pas trop le temps de m’en occuper… mais effectivement il y a plusieurs avantages à pratiquer plusieurs disciplines… comme celui de se faire plaisir différemment plusieurs fois ^^

      Amicalement
      Jack

  4. Salut Jack,

    Bel article meme si je ne suis que partiellement d’accord. Les experts du passé ayant pratiqué plusieurs disciplines sont nombreux, comme quoi ca n’est pas forcément impossible de pratiquer de cette facon. Mais je comprends et respecte ton choix de repartir a zero pour te donner a fond dans ta nouvelle pratique

    A bientot,
    Xavier

    • Salut Xavier,

      Merci pour ton commentaire. Je suis d’accord avec toi, plusieurs experts ont par le passé pratiqué plusieurs disciplines.
      Mais ceux qui ont pu saisir la substance de chacune et la retransmettre avec les principes, ou créer une nouvelle école, qui n’a pas perdu tout ce travail en profondeur sont rares.
      Même Yip Man disait que Bruce Lee n’avait pas saisit les principes et le travail en profondeur du Wing Chun (ce qui a fait que Bruce Lee a été chercher ailleurs ce qui manquait à son Wing Chun).
      Je pense que les Akuzawa Minoru Sensei sont quand même rares.

      A bientôt

      Amicalement
      Jack

  5. @Jack – Ils sont tres rares, aucun doute la dessus, je voulais juste dire que si probleme il y a, il vient peut etre moins d’une imcompatibilite des pratiques entre elles que de notre propre incapacite a faire le tri et a comprendre les principes et les enseignements de chaucune d’entre elles

    A bientot,
    Xavier

Leave a Reply to Jack Cancel reply

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

(requis)

(requis)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.